01-10-1012
Il fut un temps où la prédication de la foi était claire. Sur certaines questions, comme la sexualité, l’on parlait certes avec une discrétion pudique, mais néanmoins à peu près chaque catholique savait ce qui était à prendre ou à laisser, parfois même avec des détails qui pour les dernières générations sont devenus complètement étrangers à ce monde. « Tout ce qui se fait après douze heures (de la nuit) est péché », tonnait alors le prédicateur dans sa chaire au-dessus des têtes des fidèles dans une église bien remplie, où jeunes et vieux, riches et pauvres, côte à côte, écoutaient avec respect. Ils comprenaient très bien ce qu’il voulait dire : la jeunesse devait rentrer à la maison à l’heure après la sortie hebdomadaire. À une époque où il y avait beaucoup moins de possibilités de transport et où on devait travailler plus longtemps et plus dur, c’était d’ailleurs la règle.
Autour des années soixante du siècle passé, cela changea. Le discours devint plus doux et plus flou, et le mot péché fut de plus en plus rarement utilisé. Les confessionnaux furent fermés ou vendus. Dans de nombreux domaines de la foi, des innovations confuses furent liés à un manque de clarté, ce qui signifia inévitablement que les croyants décrochèrent de plus en plus. Du fait aussi que s’annonçaient beaucoup d’autres innovations attractives et plus concrètes, qui absorbaient le temps et l’attention des personnes. Le Pape Jean XXIII ouvrit, selon une expression devenue légendaire, les fenêtres de l’Église au souffle frais du monde, mais depuis ce souffle ce sont des multitudes de croyants qui sont sortis pour de bon par la porte de l’Église.
Le Christ, dans sa prédication, a régulièrement mis en garde contre les tentations du monde, et les apôtres l’ont redit. Un vrai chrétien semble aux yeux des incroyants plutôt étranger au monde. Ce n’est cependant pas le résultat de l’ignorance de ce qui se passe dans le monde. Les chrétiens sont généralement bien informés sur les événements terrestres, sur les innovations et sur les usages et rapports de force changeants. Ce qui est étranger au monde, dans leur attitude, c’est qu’ils ne se laissent pas emporter par ces réalités transitoires, et qu’ils peuvent prendre leurs distances avec tout ce qui dans le monde est en conflit avec le Royaume des Cieux spirituel. Le chemin de vie sur lequel ils marchent, suit la voie du futur eschatologique du monde. Avec un regard tourné vers l’avenir et plein d’espérance, un chrétien authentique attend avec impatience la transformation définitive de l’actuel univers matériel et temporaire, vers un nouveau paradis céleste spirituel et éternel. Il s’agit d’un événement final inévitable, qui peut sembler encore très lointain pour les hommes, mais qui est imminent à partir d’une vision divine.
Les sources d’énergie qui maintiennent vivante cette espérance, résident dans le trésor que nous a donné le Christ dans son Évangile. Au centre de celui-ci se trouve notre délivrance du mal et la révélation du véritable sens de notre vie. À côté de cela, existent également pour les chrétiens cohérents les affaires du monde qui, durant une partie de leur vie, constituent aussi un but à poursuivre ou un espoir à combler. La direction principale de leurs désirs ne va cependant pas dans le sens d’une amélioration de statut matériel ou social, mais vers un bonheur stable intérieur pour eux-mêmes et leurs proches. Ils appellent cela la vertu théologale de l’espérance, qui est le résultat de leur foi en Jésus-Christ, qui est pour eux, le Chemin, la Vérité et la Vie. À son tour, la motivation de cette foi est l’amour authentique, universel et pour toujours incarné dans le personnage historique de Jésus de Nazareth.
Le trésor de la foi qu’Il a laissé au monde est comme un précieux combustible. Ce n’est pas la peur (comme les athées aiment le prétendre) mais l’amour de la vérité et de la justice qui pousse les hommes à découvrir, apprécier et utiliser ce précieux combustible. Il donne naissance à la flamme de la Foi, de l’Espérance et de la Charité, appelées les « trois vertus théologales » dans le catéchisme catholique. Elle les réchauffe avec l’ardeur de l’espérance et illumine leur intelligence avec une vision spirituelle. Elle est alimentée par l’Esprit d’Amour, qui les encourage à répandre ce feu divin parmi leurs semblables, de sorte que leur vie soit illuminée par la Parole de Dieu et qu’ils puissent aussi s’y réchauffer.
L’explication de ces trois éléments de base de l’âme chrétienne, qui actuellement est régulièrement servie aux catholiques pratiquants, sonne complètement différente. Il est question de “la sœur cadette Espérance qui tire ses sœurs aînées Foi et Charité par les mains”. Cela ressemble à une scène avec des déesses sorties de la mythologie grecque. Il y a sans aucun doute beaucoup de croyants qui trouvent cela mignon, mais il est assez douteux que de telles allégories conviennent à l’approfondissement de leur foi. Cette représentation provient d’un beau poème du poète français Charles Péguy (1873-1914). Il y donne la parole à Dieu, qui dit ne pas trouver que la Foi et la Charité soient extraordinaires, mais s’étonner que les gens malgré toutes leurs misères soient toujours en mesure d’avoir l’Espérance. Il s’agit d’une réflexion poignante sur la « condition humaine » ou la réalité de la vie humaine, mais est-ce une explication chrétienne, et surtout une explication divinement inspirée ?
La foi, l’espérance et la charité, coulés dans un moule mythologique, sont en fait des concepts sans contenu. On ne « croit » pas, mais on croit EN quelque chose, on n’« aime » pas, mais on tient À quelqu’un ou quelque chose, on n’« espère » pas, mais on espère DE quelque chose. Une vertu est une attitude qui se penche sur quelque chose de concret. Dans un contexte chrétien, ces vertus sont reliées au Christ et à son héritage légué à l’humanité : sa parole vivifiante et son exemple. Charles Péguy a écrit un poème saisissant, mais si l’on donne à son texte une interprétation théologique, on est complètement à côté du sujet. Il fut un grand poète et il fut probablement aussi grand comme honnête homme en recherche, mais le socialisme athée, auquel il fut attaché pendant une partie importante de sa vie, exigea sa part et se mélangea apparemment à ses idées religieuses plus tard. Son poème parle d’une “jeune fille ou petite flamme d’espérance”. Mais cette jeune fille ardente n’est certainement pas l’élément clé qui pousse ou tire en avant la foi ou l’amour chrétien.
L’incitation formelle à une vie de foi chrétienne est le premier acte de foi : la découverte de la révélation stupéfiante qu’est l’Évangile et la décision intérieure de fonder dorénavant sa vie sur cela. « Ta foi t’a sauvé » dit Jésus à maintes reprises aux gens qu’il a guéris de toutes sortes de maux. Dieu veut l’acte de foi : une libre décision intérieure, qui est prise sans cautions mondaines ou extérieures, comme une étincelle entre le temporel et l’éternel. C’est l’amour de la vérité et de la justice qui motive quelqu’un à cela. Si l’amour n’est pas à la base, alors la foi ne sert à rien, comme nous l’a enseigné saint Paul. Si cet acte de foi était inspiré par « l’espérance », il serait également vide de sens, parce que l’espérance serait ou bien elle-même sans contenu, ou bien tournée vers quelque chose qui n’est pas vraiment connu et donc juste un coup de dés ou une forme de curiosité. L’espérance comme cause ou stimulation qui met en mouvement la foi ou la charité, est au fond une représentation païenne des choses. L’espérance des chrétiens n’est pas la cause mais la conséquence de la foi en l’Évangile, une foi qui est entraînée par un amour spontané qui se concentre sur la figure du Christ et nous ouvre les yeux sur la réalité à venir de l’homme et du monde.
Les chrétiens ne sont donc pas encouragés ou incités à croire dans des écrits vieux de deux mille ans, par une espérance existentielle, qui étonnerait Dieu Lui-même. Ces écrits témoignent du Christ historique. C’est la rencontre avec Lui qui, par ses paroles et ses actions a montré qu’il est le Fils de Dieu et notre Sauveur, qui leur assure la compréhension de foi, d’où ils puisent leur espérance. Les convertis sont encouragés à cela par un amour spirituel, et celui-ci n’est pas une belle grande sœur mythologique, mais un don gratuit de Dieu qu’ils ont accepté intérieurement et utilisé. La flamme vacillante de l’espérance dont parle le poète français est en revanche de nature existentielle. Il donne aux gens le courage d’affronter le «struggle for life» et a en vue une meilleure situation de vie. Dans le fond, il s’agit ici d’un mécanisme instinctif, du même ordre que la peur dont parlent les athées. Ce n’est certainement pas quelque chose dont Dieu s’étonne, mais un précieux soutien psychologique inconscient qu’Il a accordé à ses créatures conscientes.
La vertu divine de l’Espérance dont parle la doctrine catholique est purement de nature spirituelle. Elle est intrinsèquement liée à la Charité chrétienne et à la Foi, comme la chaleur d’une flamme ne peut pas être séparée de sa lumière (comme symbole de la Foi), ni du combustible qui la nourrit (la Parole de Dieu) ou de l’oxygène qui la fait flamber (la Charité). Dans la pratique, ce feu vertueux ne brûle bien sûr pas toujours aussi fort, et les meilleurs chrétiens sont aussi parfois accaparés par les vicissitudes dans lesquelles la jeune fille Espérance existentielle est spécialisée, plutôt que par les missions auxquelles nous incitent les vertus divines. Même le feu spirituel peut s’éteindre et mourir. Mais cela ne signifie pas que les deux formes d’espérance sont les mêmes, comme l ‘« amour » dont l’on parle dans les chansons n’est pas le même que l’amour charité chrétien pour Dieu et le prochain. Il est également important de réaliser que la jeune fille de l’espérance humaniste ne favorise pas les vertus cardinales chrétiennes, mais que au contraire la vertu théologale de l’espérance, pendant les jours sombres de notre existence terrestre, offre la main à cette jeune fille fragile et la soutient par sa vision à long terme.
Ci-après un extrait du texte de Charles Péguy, qui n’a pas été écrit pour remplir des discours en chaire ou à des fins théologiques, mais comme un hommage à la force et au courage avec lesquels les gens parviennent à supporter leur destinée terrestre et si possible la retourner.
La vertu que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance. La foi, ça ne m’étonne pas, ça n’est pas étonnant. J’éclate tellement dans ma création.
Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne.
Ça c’est étonnant, que ces pauvres enfants voient comment tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux, qu’ils voient comment ça se passe aujourd’hui et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin.
Ça c’est étonnant et c’est bien la plus grande merveille de notre grâce. Et j’en suis étonné moi-même.
Il faut, en effet, que ma grâce soit d’une force incroyable, et qu’elle coule d’une source et comme un fleuve inépuisable.
La petite espérance s’avance entre ses deux grandes sœurs, et on ne prend seulement pas garde à elle.
Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur le chemin raboteux du salut, sur la route interminable, sur la route entre ses deux sœurs, la petite espérance s’avance.
C’est elle, cette petite, qui entraîne tout.
Car la foi ne voit que ce qui est,
Et elle, elle voit ce qui sera.
La charité n’aime que ce qui est,
Et elle, elle voit ce qui sera.
La foi voit ce qui est dans le temps et l’éternité.
L’espérance voit ce qui sera dans le temps et l’éternité. Pour ainsi dire dans le futur de l’éternité même.”
En revanche, la foi chrétienne authentique place la vénération de Marie, cause de notre joie. Nous terminons donc cette réflexion avec la traduction d’une chanson religieuse espagnole. C’est une prière pleine d’espoir à elle dont la vie fut le plus bel exemple humain de l’inébranlable confiance en Dieu et dont le « oui » a rendu possible notre salut.
Quand la nuit tombe et obscurcit la foi,
Mère de tous les hommes, apprends-nous à dire «Amen».
Lorsque la douleur nous tourmente et que l’illusion ne brille plus,
Mère de tous les hommes, apprends-nous à dire «Amen».
Quand la Lumière apparaît et que nous nous sentons heureux,
Mère de tous les hommes, apprends-nous à dire «Amen».
Quand la mort viendra et que tu nous mèneras au ciel,
Mère de tous les hommes, apprends-nous à dire «Amen».
Ainsi espère, confie, croit et prie un vrai chrétien. Amen (ainsi soit-il).